Les enjeux de santé autour de la consommation et de la production d’eau potable
Photo Pixabay Joseph Fulgham
Source : Miller JD et al, « Water Security and Nutrition: Current Knowledge and Research Opportunities », Adv Nutr. 2021, 12, p 2525–2539, doi: 10.1093/advances/nmab075.
Au-delà de la couverture des besoins en eau de l’organisme, l’eau est essentielle pour la préparation des aliments et la production agricole, l’hygiène personnelle et le bien-être psychologique, avec des implications importantes sur la nutrition.
La sécurité de l’approvisionnement en eau, ou sécurité hydrique, requiert :
- la disponibilité de l’eau, c’est-à-dire sa présence dans l’environnement,
- son accessibilité, c’est-à-dire qu’elle peut être assez facilement acquise,
- son utilisation, sa qualité répond à quels besoins ?
- et la stabilité de ces concepts dans le temps.
La disponibilité de l’eau est menacée dans certaines régions par la pénurie et les inondations ; la sécurité hydrique est étroitement liée à la sécurité alimentaire.
Importance physiologique de l’eau
L’eau comme nutriment essentiel
Sans eau, pas de vie ; elle sert de solvant aux réactions biologiques, contribue à la digestion, à l’absorption, au transport et au métabolisme des nutriments ; elle dissipe la chaleur pour la thermorégulation ; elle maintient les gradients osmotiques et les potentiels d’action, jouant un rôle clé en biologie. L’eau corporelle totale représente au moins 50 % du poids corporel, mais varie en fonction du sexe, de l’âge et de la composition corporelle (par exemple, le tissu adipeux stocke moins d’eau que la masse corporelle maigre). Les apports en eau sont directement liés aux liquides bus, et proviennent aussi des aliments en contenant. L’eau est principalement perdue par l’urine, la respiration, la sueur et les selles. Une insuffisance d’eau est associée aux calculs rénaux et à des problèmes rénaux. Une déshydratation de 1 à 2% peut s’accompagner de fièvre et de troubles intellectuels.
Les différentes boissons
L’eau est la meilleure boisson pour s’hydrater ; les boissons sucrées ont un apport calorique non négligeable, notable car les volumes de fluides consommés peuvent être importants ; les purs jus de fruits peuvent présenter un apport nutritionnel intéressant, notamment en antioxydants, cependant les sucres sont rapidement assimilés. Les individus peuvent consommer préférentiellement des boissons autres que l’eau en raison d’une méfiance quant à la provenance et à la qualité de leur eau potable ou de problèmes liés à l’accès à l’eau, pouvant favoriser une surconsommation calorique. Les individus peuvent consommer préférentiellement des boissons autres que l’eau en raison de leur goût, de leur coût, de leur commodité, de leur valeur nutritionnelle perçue ou de leur importance socioculturelle, mais aussi en raison d’une méfiance quant à la provenance et à la qualité de leur eau potable ou de problèmes liés à l’accès à l’eau, pouvant contribuer aux risques liés aux excès de boissons sucrées.
L’eau peut apporter certains minéraux, comme le calcium ou le magnésium ; il est cependant assez rare que ces apports soient significatifs au regard des besoins quotidiens. En pratique, les eaux les plus riches en minéraux pourraient contribuer à une bonne santé cardiovasculaire et à la bonne santé osseuse.
Le sodium peut être trouvé, généralement en faibles concentrations dans l’eau potable, bien que cela puisse changer en raison d’une plus grande intrusion d’eau salée lors de l’augmentation des prélèvements d’eau souterraine et de l’élévation du niveau de la mer. L’eau riche en sel peut contribuer à un apport excessif en sodium et à une hypertension concomitante, en particulier chez les individus présentant un phénotype sensible au sel ; ces risques peuvent être atténués si les niveaux de calcium et de magnésium dans l’eau sont également élevés.
Le fluor est naturellement présent dans certaines sources d’eau et parfois ajouté artificiellement pour renforcer l’émail dentaire et protéger contre la carie. Un apport excessif en fluorure peut cependant provoquer une fluorose et est endémique dans de nombreuses régions présentant de fortes sources géologiques de fluorure.
L’eau peut jouer un rôle important dans la prise de médicaments, les volumes à boire pouvant être élevés. Une bonne qualité favorisant l’observance du traitement.
L’activité physique et l’eau
Se procurer de l’eau dans des sites éloignés induit une déperdition hydrique corporelle justement pour assurer la thermorégulation au cours de cet effort, ainsi que des dépenses énergétiques. On notera que de plus, ces activités consommatrices de temps peuvent se faire aux dépens de la préparation des repas et d’activités qui procurent des revenus. D’un autre côté, partout dans le monde, les sportifs ont des besoins également élevés, variable selon le type d’effort, l’intensité, l’entrainement, la température et l’humidité. Une disponibilité insuffisante en eau peut réduire l’appétence pour l’activité physique.
L’eau et la production alimentaire
Productivité agricole
L’eau est fondamentale pour la production alimentaire et le succès des cultures, de l’élevage et de l’aquaculture. En fait, au moins 70 % des prélèvements d’eau douce dans le monde sont destinés à l’agriculture. Mais l’intensification de la pénurie d’eau et des phénomènes météorologiques extrêmes dus au changement climatique, ainsi que la demande croissante en eau d’autres secteurs, constituent des obstacles considérables à la réalisation de la sécurité alimentaire mondiale. L’eau destinée à la production agricole peut être de « l’eau verte », qui provient de la pluie, et « l’eau bleue », qui provient de sources d’eau de surface ou souterraines. L’agriculture pluviale (est généralement moins productive que l’agriculture irriguée car elle est plus sensible aux aléas météorologiques. On tend actuellement à augmenter autant que possible l’irrigation pour améliorer les rendements, et l’utilisation du goutte à goutte pour économiser l’eau.
Technologies d’irrigation
Le dessalement et le recyclage des eaux usées sont deux solutions technologiques susceptibles d’améliorer la sécurité de l’eau agricole. Toutefois les eaux déssalées doivent être rechargées en minéraux (hors sel) pour assurer la croissance des plantes, ce qui est cher, et les eaux recyclées peuvent en outre et contaminées au plan bactériologique.
Eau pour la préparation des aliments
Laver les aliments avec de l’eau propre peut éliminer les pesticides nocifs ou les matières résiduelles du sol pouvant contenir des helminthes parasites. L’eau propre permet aussi de nettoyer les ustensiles destinés à servir et à consommer les aliments en sécurité.
Les féculents de base nécessitent souvent de l’eau pour leur préparation. Par exemple, le manioc riche en glucides, résistant à la sécheresse, doit être trempé ou bouilli dans l’eau pour éliminer les glucosides cyanogéniques neurotoxiques. Pendant les périodes de pénurie d’eau, de nombreux ménages consomment du manioc non transformé, ce qui est suivi de l’apparition du konzo, trouble neurologique résultant de l’exposition au cyanure.
Les ménages peuvent, face à la pénurie ou la contamination de l’eau consommer moins de nourriture. Il a été observé qu’avec un manque d’eau, les ménages ne consommaient pas leur nourriture pourtant disponible parce qu’ils manquaient d’eau, par exemple pour préparer du porridge. Cette insuffisance peut aussi limiter la capacité à cuisiner et à préparer les repas. Les repas peuvent aussi être davantage pris à l’extérieur du foyer. Les aliments ont alors tendance à être plus denses en calories et plus riches en graisses saturées que ceux préparés à la maison, avec un risque plus élevé de double fardeau de malnutrition dans les ménages, notamment de surpoids et de maladies non transmissibles.
L’eau comme exposition environnementale
L’eau insalubre contribue encore de manière significative à la charge mondiale de morbidité, même dans les pays à revenu élevé. Par exemple, on estime que 12 à 19 millions de cas de maladies gastro-intestinales aux États-Unis sont imputables chaque année à de l’eau potable contaminée. Les contaminations peuvent être liées notamment à des virus, des bactéries, des protozoaires et des helminthes parasites, ainsi que des champignons. Parmi les agents microbiologiques les plus fréquents, on note Vibrio cholerae avec le choléra et Salmonella enterica responsables de nombreuses épidémies de maladies entériques, légionella pneumophia pour des légionelloses. Parmi les métaux lourds et produits chimiques, le cadmium, le plomb, le mercure et l’arsenic sont particulièrement concernés. Les polluants émergeants comprennent des produits pharmaceutiques, des produits de soins personnels, des sous-produits industriels et ménagers, des métaux, des microplastiques, des additifs et solvants industriels et des édulcorants artificiels.
Il faut tenir compte de l’ensemble des voies de contamination, de la source au consommateur en passant par les voies de stockage et de transport, afin d’assurer la sécurité.
Les stratégies visant à améliorer la qualité de l’eau doivent tenir compte des multiples voies et types d’exposition, depuis le bassin versant (par exemple, le ruissellement agricole) jusqu’au niveau des ménages. L’amélioration de l’accès aux sources d’eau courante peut améliorer la sécurité de l’eau des ménages, mais l’eau potable collectée à partir d’une source d’eau améliorée peut devenir dangereuse si elle est collectée ou stockée dans un récipient contaminé. Ainsi, le partage de l’eau entre ménages est une pratique courante parmi les familles en situation d’insécurité hydrique et pourrait exposer les individus à un plus grand risque de maladie si l’eau empruntée est contaminée par autrui. On estime que près des trois quarts des près de 450 000 décès dus à la diarrhée chez les enfants de moins de 5 ans en 2016 peuvent être attribués à l’eau insalubre et à un manque d’assainissement ainsi qu’à 16 % du retard de croissance chez les enfants de moins de 5 ans dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.
Microbiome et inflammation
Dans un contexte où les microbes du tube digestif, le microbiome, sont reconnus comme jouant un rôle majeur sur la santé, il faut savoir que chaque source d’eau potable possède un microbiome qui peut modifier la composition du microbiote intestinal d’un individu directement ou en modifiant l’écologie intestinale. Les minéraux peuvent aussi influencer le microbiote intestinal.
Conclusion
La prise en compte de la disponibilité, l’accessibilité, la qualité, la stabilité et l’utilisation de l’eau sont capitales pour assurer la qualité des apports en eau, en plus de la capacité à traiter l’eau. Les stratégies technocratiques (par exemple, l’installation de conduites d’eau) sont susceptibles d’être plus efficaces lorsqu’elles sont mises en œuvre au niveau des services publics et associées à des initiatives de gouvernance de l’eau et d’entretien des infrastructures qui garantissent que les technologies de l’eau sont gérées de manière durable, adaptables aux chocs et accessibles aux utilisateurs.
Viviane de La Guéronnière