Approvisionnement en eau dans le monde : Aspects culturels et pratiques quotidiennes
Des aspects indispensables à prendre en compte pour l’efficacité des politiques sanitaires.
Source : Workman C.L et al « Food, water, and sanitation insecurities: Complex linkages and implications for achieving WASH security ». Glob Public Health 2022, 17, p 3060-3075, doi: 10.1080/17441692.2021.1971735.
La sécurité alimentaire, la sécurité des apports en eau et hygiénique, doivent, pour être efficace, aller au-delà de la fourniture de ces biens. Il faut notamment tenir compte de la culture des personnes destinataires, du contexte économique, social et environnemental, notamment du climat. Les trois types de ressources, alimentaire, hydrique et sanitaire, sont aussi étroitement liées entre elles. En analysant les résultats de différentes expériences d’apport en WASH (WAter Sanitation & Hygiene), les auteurs de cette revue en ont tiré différentes considérations.
Fourniture en eau domestique ou communautaire
Compte tenu de la rareté de l’eau dans certaines régions, les habitants peuvent être amenés à en multiplier les sources d’approvisionnement, domestique ou communautaire. Ainsi, chez des enfants, des interventions WASH (latrines à fosse améliorées, stations de lavage des mains, savon liquide, chloration de l’eau au point d’utilisation et espace de jeu propre) peuvent avoir une efficacité chez les enfants jusqu’à deux ans, mais chez des enfants plus âgés, les déplacements autour ou hors de la maison, suite aux contacts avec des animaux, d’autres personnes contaminées, favorisent les contaminations bactériennes et parasitaires si les interventions sanitaires n’ont pas été faites au niveau communautaire. Il est donc important que ces pratiques soient également relayées dans les écoles, les centres de santé et auprès des comités de gestion villageois en zones rurales. Ces infections se compliquent ensuite de problèmes de santé généraux comme des anémies, la dénutrition et des retards de croissance. Il faut donc prendre en considération la multitude des sources d’approvisionnement en eau d’une population et des risques que cela engendre si elles ne sont pas toutes traitées ; les objectifs doivent aller au-delà de la qualité de l’intervention WASH en elle-même, en visant la prévention de l’exposition aux pathogènes humains et des maladies associées.
Des effets à différentes échelles
Insécurité sur les ressources au niveau communautaire
Ainsi, il a été observé que l’assainissement au niveau de la communauté, et non au niveau du ménage, prédisait le retard de croissance et la diarrhée chez les enfants. De même, des chercheurs ont constaté que la couverture sanitaire au niveau communautaire était un meilleur indicateur de la croissance des enfants que l’accès des ménages à des latrines. Une revue de la littérature indique qu’un accès accru à des installations sanitaires adéquates à l’école réduit les maladies gastro-intestinales. La présence d’un centre de santé dans un quartier ou un village est également propice à cette réduction. Il faut tenir compte du rôle de l’entourage, mères et autres personnes responsables de la garde des enfants, des modes de préparation et de consommation des aliments, tant au foyer qu’au niveau de la communauté.
Insécurité de la ressource en eau au niveau du foyer
La rareté d’une eau de qualité au niveau du foyer peut limiter la production alimentaire d’un ménage destinée à la consommation et à la vente, et finalement ses choix alimentaires ; l’achat d’eau ou le traitement de l’eau peut nuire au budget alimentaire d’un ménage ; les contraintes liées à la corvée d’eau peuvent perturber les tâches de préparation des repas ; les aliments peuvent devenir dangereux s’il n’y a pas d’eau pour les laver avant de les manger ; et les animaux, tout en protégeant contre l’insécurité alimentaire, sont eux-mêmes vulnérables s’il n’y a pas suffisamment d’eau.
A l’inverse, l’excès d’eau présente également des risques, car les inondations sont associées à la diarrhée en propageant des agents infectieux ; elles aboutissent aussi à une production insuffisante de nourriture, en détruisant les cultures ou en emportant la terre végétale fertile.
Autres conséquences au niveau des foyers
Les femmes sont particulièrement touchées par l’insécurité des ressources, car elles sont principalement responsables de la gestion du ménage. Cela se manifeste par un stress psycho-émotionnel et psychosocial important concernant l’eau et la nourriture. Au plan sanitaire, elles sont également responsables de l’entretien des toilettes ou des latrines mais peuvent être incapables de gérer en toute sécurité l’urine, les selles et les règles, pouvant susciter un sentiment de honte. Il est donc important lors de la construction de latrines individuelles et encore plus collectives d’accompagner les femmes et la collectivité sur leur usage et leur entretien. Dans le cadre des latrines publiques, le choix de leur emplacement est également capital.
En pratique, des études ont montré que la présence d’agents pathogènes entériques sur les mains des mères était associée à la présence de marqueurs fécaux d’animaux ; ceci étant vraisemblablement lié aux tâches domestiques telles que le nettoyage des sols de la maison. La contamination des mains entrainer celle des aliments lors de la préparation. Les hommes quant à eux sont particulièrement exposés à la schistosomiase par le biais des activités agricoles ; femmes et enfants y sont exposés lors des activités domestiques telles que la lessive et le bain. Les travailleurs qui vident manuellement les latrines – et sont plus susceptibles d’être des hommes – courent un risque important d’exposition à des agents pathogènes.
Variations saisonnières et géographiques, variété des sources
Parmi les sources d’approvisionnement en eau, on trouve des robinets communautaires, de l’eau de source non protégée, de l’eau de rivière, pour l’hygiène corporelle par exemple. L’eau de « barrages » ou d’étang de mauvaise qualité était couramment utilisée pour le jardinage, et directement pour le nettoyage des légumes à feuilles sans cuisson supplémentaire, présentant un risque de contamination des aliments et d’autres surfaces, notamment les mains ou les récipients d’eau. Tout ceci peut représenter des voies de transmission potentielles par ingestion indirecte d’eau. Et compromettre le succès des interventions sur l’eau. Même si l’eau récupérée est sûre, cette eau potable peut être contaminée après approvisionnement par les usagers. Ainsi, des Escherichia Coli pathogènes ont été trouvés dans la maison mais pas dans l’eau de source. Il arrive que des participants considérant l’eau de source comme pure ne voient pas la nécessité de faire bouillir leur eau pour prévenir des contaminations.
Pendant la saison des pluies, les latrines peuvent « être inondées », libérant des déchets humains dans l’environnement et dans les sources d’eau. L’emplacement des latrines et leur entretien sont donc primordiaux pour éviter toute source de pollution. Une source d’eau destinée à des usages multiples comme nettoyer une salle de bains ou des toilettes, se laver les mains et pour trier les déchets humains (c’est-à-dire en versant ou en tirant la chasse d’eau selon la construction des latrines), requiert d’importantes précautions particulières.
La situation peut être différente en milieu urbain et rural. En milieu urbain, quand les gens vivent près les uns des autres, ils sont confrontés à un risque accru de maladies infectieuses et parasitaires. Ils peuvent être confrontés à une insécurité en matière d’approvisionnement en eau en raison d’un réseau d’adduction d’eau défectueux et d’un nombre insuffisant de branchements ou de kiosques à eau, ceux disponibles étant souvent cassés, entraînant de longues attentes et de multiples déplacements pour s’approvisionner suffisamment. De plus, dans les zones urbaines très isolées, les infrastructures d’assainissement peuvent ne pas être suffisantes ou s’avérer difficiles. Par exemple, les camions aspirateurs peuvent ne pas être en mesure d’atteindre toutes les latrines, ce qui oblige les gens à devoir vider manuellement les fosses, et la perte de sol perméable augmente le risque d’inondation. Il existe des risques saisonniers et spatiaux associés à l’agriculture et à l’élevage. Par exemple, les marqueurs fécaux de ruminants sont plus probables dans les zones agricoles que dans les zones urbaines et périurbaines et les concentrations d’Escherichia Coli dans les eaux souterraines dépassent souvent les seuils recommandés par l’OMS.
Conclusion
La véritable sécurité WASH va au-delà des infrastructures et implique des sécurités concomitantes en matière de nourriture, d’eau et d’assainissement. Les risques posés par de multiples insécurités en matière de ressources varient également en fonction de l’individu, de ses déplacements tout au long de la journée, de ses rôles économiques et sociaux et de caractéristiques écologiques telles que la saisonnalité et les précipitations. En intégrant davantage la sécurité alimentaire, l’eau et l’assainissement et la sensibilisation à l’hygiène dans les interventions et les évaluations d’impact ultérieures, nous pouvons parvenir à une sécurité WASH – une sécurité qui s’attaque à une myriade de voies de transmission et de maladies syndémiques – afin d’améliorer les résultats en matière de santé dans le monde entier.
Viviane de La Guéronnière